CRITIQUE/AVIS FILM – Emma Benestan réalise avec “Animale” la chronique d’une terrible violence courante, film en forme de fable aussi réelle que fantastique aux allures de western horrifique. Un film à l’effroi implacable, porté par la grande performance d’Oulaya Amamra et une mise en scène renversante.
Emma Benestan à l’épreuve du deuxième film
C’est trois ans après Fragile que le deuxième long-métrage d’Emma Benestan, Animalarrive au cinéma. En 2021, sa comédie sentimentale avait été très bien accueillie par la critique mais était passée inaperçue dans les salles. Beaucoup de choses s’y révélaient, notamment sa connexion avec son actrice Oulaya Amamra et son talent d’auteure et de cinéaste. Un premier film très prometteur qui a ainsi créé une attente, des enjeux pour la suite : où ira Emma Benestan dans son nouveau film, confirmera-t-elle, attirera-t-elle le public ?
Lancée à cheval, Oulaya Amamra se découpe dans un groupe d’hommes, en pleine Camargue. Elle incarne dans Animal Nejma, une jeune femme qui travaille dans une manadeun élevage de taureaux. Elle et ses collègues participant à des “courses camarguaises”, une épreuve sportive ou des “raseteurs” doivent se saisir à l’aide d’un crochet d’attributs accrochés au devant d’un taureau, dans une arène. Une pratique sans mise à mort, où le danger concerne quasi exclusivement les “raseteurs”.
Seule femme dans cette petite communauté camarguaise, Nejma va perdre connaissance lors d’un rite d’initiation, après une soirée bien arrosée. Se réveillant sans aucun souvenir de la nuit, elle ressent pourtant que quelque chose lui est arrivé. Petit à petit, une transformation physique va s’opérer, alors que des morts suspectes s’accumulent chez les manadiers…
Une actrice en pleine force
Éclatant soleil noir, Oulaya Amamra confirme son talent, qui avait sublimé Divins et lui avait valu en 2017 le César du Meilleur espoir féminin. De peu de mots, par la culture taiseuse du Sud comme par l’expression très physique de son personnage, elle prend sous son chapeau des airs d’héroïne de western, dans un duel constant avec l’adversité. Captivante à l’image, ordonnatrice du récit dramatique qui se déroule, elle parvient par ailleurs à tirer dans sa lumière le casting secondaire masculin, composé de locaux, acteurs non professionnels mais très convaincants et pour certains vrais dirigeants. L’actrice, comme double à l’écran d’Emma Benestan, accomplit alors sa mission : mêler sans coutures le réel et le fantastique dans une fantastique métamorphose.
La continuité dans le changement
Animal est un très bon film de genre, sensationnel et charnel, précisément incarné et soigneusement écrit. Il l’est, plus sans doute que Fragileparce que plus sûr de son fait, plus déterminé et radical. Mais tout en lui étant très différent, il entretient avec plusieurs similitudes qui constituent ensemble une identité. Comme dans Fragilele personnage principal est dans un univers a priori contraireici seule femme d’un milieu très masculin. Aussi, Animal parle d’une période de la vie formatrice, tout au bord de l’âge adulte, quand l’expérience se constitue. Encore, c’est le Sud, sa chaleur et sa grande nature, ses étendues de mer ou de marais à perte de vues, invitation à la liberté et ses dangers.
Mais Animal est bien un thriller fantastique-horrifique doublé de la chronique d’une violence, avec sa créature et ses effets spéciaux très réussis, sa mise en scène qui s’amuse avec des cadres à la première personne où l’obscurité de la nuit rappellerait presque les eaux de Les Dents de la mer. Animal est ainsi délicieusement effrayant dans ses images, son utilisation du son, très efficace dans son économie de moyens, et cet usage des codes classiques du genre se marie bien avec l’allégorie qui se développe.
La tension était presque parfaite
Seul point qu’on pourra regretter au sujet d’Animalcette allégorie est finalement explicitée avec la représentation à l’écran de ce qui lui est arrivé et a enclenché sa transformation. En effet, Animal est tant réussi sur ses représentations et sa suggestion qu’on comprend la nature de la violence subie sans que celle-ci soit dite.
C’est en effet avant tout par la bonne distance au rappel de la figure du loup-garou comme à celle mythologique du Minotaure – créatures victimes, exilées et punies -, ainsi que par l’émotion d’abord rentrée, à la fois rageuse et patiente de son personnage principal, qu’Emma Benestan parvient à imager parfaitement la condition féminine contemporaine et ses luttes, sous-texte éclatant de sa fable fantastique très aboutie.
Mais c’était un équilibre très fin à atteindre, une recherche qui tient de la jauge : il faut compléter la ligne viol et vengeance du film, montrer et punir le coupable ainsi que finir d’édifier le personnage de Nejma, tout en préservant la tension délicieuse et implacable, construite par la formidable atmosphère du film plus que par ses événements, et ne la résoudre que le plus tard possible afin de ne pas désamorcer trop tôt ses grandes sensations. Il n’empêche, si ce souci de compréhension du propos empèse légèrement la fin d’Animalil ne lui enlève en rien sa sagacité et sa très grande force cinématographique.
Animal d’Emma Benestan, dans les salles le 27 novembre 2024. Ci-dessus la bande-annonce.