La noyade est totale pour “Sous la Seine”, l’ambitieux film français de requins Netflix porté par Bérénice Bejo et Nassim Lyes. Oscillant entre le ton dramatique et comique, affichant un niveau d’interprétation illisible, incohérent et finalement mal-aimable, “Sous la Seine” touche le fond du fond.
Sous la Seinequand le ridicule noie
La profonde déception n’est qu’à peine tempérée par les rares rires – de gêne – que provoque Sous la Seine. Et c’est très dommage. Alors que le cinéma français “original” de Netflix peut s’enorgueillir de plusieurs propositions très honnêtes et de certaines réussites objectifs sur ces dernières années (Balle Perdue, Oxygène, Nouvelles richessesetc.), le film d’horreur sous-marine réalisé par Xavier Gens avait en effet de quoi faire saliver.
Un casting mené par l’actrice consacrée Bérénice Bejo et Nassim Lyes, star du brutal et jubilatoire Farang du même Xavier Gens – comme du très drôle Nouvelles richesses -, un synopsis aussi intrigant qui promet avec ce requin qui s’installe dans la Seine, alors que s’y prépare les championnats du monde de triathlon… Tout semblait réuni pour avoir, au premier degré, un vrai film de genre – Xavier Gens sait y faire -, un film de requins “sérieux” qui effraierait et ravirait par un spectacle inédit dans le paysage cinématographique français. Las, on n’avait en réalité pas vu un film de ce calibre aussi noté depuis un bon bout de temps.
Un film de requins Netflix sans dents (ni idées)
Des moyens, il y en a pour Sous la Seine, qui a pu tourner au cœur de Paris et mettre en boîte ses séquences aquatiques dans le bassin du plus grand studio aquatique d’Europe, en Belgique. Les accessoiristes se sont aussi cassés la tête pour offrir une représentation souvent réussie – mais pas toujours – des requins du film, entre animatroniques et CGI. Et pourtant…
Pourtant, sur son principe valable – un super-prédateur se retrouve là où il ne faut absolument pas -, Xavier Gens et ses co-scénaristes Yannick Dahan, Maud Heywang et Yaël Langmann ne développent rien. Il y a l’histoire de Sophia (Bérénice Bejo), fils traumatique passée qui la lie au requin et qui offre une introduction intéressante. Et puis, plus rien. Sa tristesse, sa souffrance, sa blessure, son probable désir de vengeance, rien n’est exploité pour devenir un véritable ressort des enjeux dramatiques du film. Il y a l’histoire d’Adil (Nassim Lyes), commandant de la police fluviale. Il est un ancien militaire au passé lui aussi douloureux. De la même manière, on vient à s’en foutre trop rapidement.

Il y a encore l’histoire de Mika (Léa Leviant), jeune activiste environnementale dont on ne sait pas si l’aspect totalement agaçant du personnage procède d’une volonté d’écriture, ou si c’est parce qu’elle et son milieu sont inconsciemment caricaturés à l’extrême. Attitude rebelle, cheveux colorés, installés dans un squat éclairé par des néons où tournent des ordinateurs et s’agitent des influenceurs-activistes-hackers, elle et ses amis incarnent la jeunesse et la forme de conscience morale du film dans des clichés aberrants. De toute évidence, la génération des auteurs de Sous la Seine a du mal à percevoir celle de ses enfants…
Placer ça et là quelques sauter fait peur et une musique angoissante ne suffit pas. Les idées de Sous la Seine, s’il y en a, se noient entre elles dans un tourbillon d’eaux sales. Il n’y a pas de personnage principal dans Sous la Seineou alors Bérénice Bejo aurait dû l’être mais elle joue bien trop mal – pas la moindre des surprises venant d’une actrice de son talent – pour être autre chose que transparente. Un défaut de direction ? Dans tous les cas, le point de vue est indéterminé. Est-ce qu’on la suit elle, Sophia ? Ou alors Adil, ou alors Mika, ou même la détestable maire incarnée avec force cabotinage par Anne Marivin, vraisemblablement migraineuse d’hybridation d’Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ? On ne sait pas.
Sous la Seine n’évite pas le “problème” français
Ce qu’on sait en revanche, ce qui est éclatant, c’est que ce film Netflix se plante en rééditant l’erreur très chronique du cinéma de genre français : refuser de se prendre au sérieux. Alors que Sous la Seine se présente d’abord comme un thriller violent et dramatique, il devient rapidement une pauvre comédie d’action et une mauvaise parodie de lui-même.
Exemple, alors que des requins s’offrent un festin dans les catacombes, un des hommes d’Adil tombe à l’eau. Alors qu’il a déjà un bras arraché, Adil lui crie, depuis le bord du bassin : “Donne ta main ! L’autre main !“. Ce n’est pas très original, mais c’est drôle. Le problème est que c’est surtout risible, parce que cet humour contredit largement la gravité que, sur le envoyé, Xavier Gens a voulu infuser dans son histoire. Plus Sous la Seine avance, plus il coule dans des eaux indéterminées. Survie au premier degré comme Les Dents de la mer ? Comédie d’action burlesque ? Drame environnemental ? Série Z dans la lignée de Sharknado ?

On ne révélera pas ici un caméo de fin qui va faire parler, au moins chez les abonnés français, mais on peut indiquer que celui-ci confirme que le film a sur finalement abandonné toute idée de vraisemblance, de cohérence, et même l’idée. d’offrir une émotion. Et c’est là que Sous la Seine devient vraiment mal-aimable, si jusque-là on avait pu essayer de lui pardonner ses errements : il semble dire qu’il n’en a rien à foutre. Rien à foutre de son histoire, du cinéma de requins, des sensations du cinéma de genre, et au final rien à foutre de ses spectateurs.
Tout à fait l’inverse de ce que propose par exemple Balle Perdue ou, bientôt au cinéma et dans un genre plus proche, le film Survivre. Deux films qui, avec moins de moyens, veulent faire avec sincérité beaucoup, beaucoup plus de cinéma.